Hop là ! M'écriais-je joyeusement, en surgissant derrière Jeffrey.

La lanière de cuir, enroulée en collet, noua une étreinte ferme autour du cou de ma proie. En glapissant, ce salopard sentit que je venais dans son dos pour le frapper à l'arrière des genoux. Comme électrifié, il glapit, puis glissa irrésistiblement vers le sol lorsque ses jambes cédèrent. D'un coup, tout le poids de son corps pesa douloureusement contre la lanière autour de son larynx, pression contre laquelle ses deux mains crispées ne purent rien faire. Desserrer l'étau qui le strangulait violemment aurait nécessité qu'il se remette sur pied ; or, je l'avais volontairement cogné en plein sur le passage du nerf. Autant dire que ses muscles ne lui obéiraient pas avant trente longues et suffocantes secondes. Déjà, le visage de cet ignoble profiteur commençait à virer au carmin, et ses efforts  désespérés pour se libérer n'arrangèrent pas sa situation.

On admirait le paysage, chaton ? Tu devrais pourtant savoir qu'à cette heure, ce n'est pas raisonnable de se laisser ainsi distraire... Le sermonnais-je d'une voix doucereuse, tout en adressant un regard complice au « paysage » tout de blanc et de fuchsia vêtu, dont les oreilles allongées couronnaient la tête.

Incapable de faire mieux, Jeffrey gargouilla un son grumeleux qui ne m'inspira aucune pitié à son égard ; je fis même en sorte de tirer un peu plus fort sur mon garrot, juste parce que ça me défoulait de serrer toujours plus fort le cou de cet enfoiré empestant l'after-shave.

Tu es bien rouge... C'est nous qui te mettons dans cet état, chéri ? Un coup sec de mon talon le poinçonna aux reins, lorsqu'il tenta de s'appuyer contre moi pour pouvoir respirer ; je repris aussi sec, d'une voix coupante : Ce n'est pas agréable, pas vrai ? De se sentir pris à la gorge, étranglé ? Ma jambe opéra un mouvement de crochet pour le frapper au ventre, alors que je me trouvais derrière lui. C'est pourtant ce que tu fais, non ? Tu prêtes de l'argent, et ensuite, tu viens réclamer tes dettes. Et quand les gens ne peuvent pas payer, tu leur proposes un nouveau prêt, et c'est comme ça que tu serres lentement tes doigts autour de leurs bourses. J'augmentai la pression à chaque mot accentué, arrachant à deux reprises un grognement rauque à ce tas de merde sans vergognes.

De ma position, je ne pouvais pas voir l'expression exacte de Jeffrey. Impossible pour moi de remarquer à quel moment ses yeux rouleraient vers le haut, annonçant la perte de connaissance signifiant qu'une privation d'oxygène plus longue signerait son arrêt de mort. White Rabbit, en revanche, était en mesure de surveiller l'évolution de l'état de ma proie, mais j'ignorais si elle s’interposerait en voyant cette crapule me claquer entre les pattes. La compassion n'était pas son truc, encore moins pour les déchets humains. Moi, en revanche, je n'étais pas juste venue pour étrangler à mort Jeffrey ; si j'avais insisté auprès de mon amie lapine pour rendre visite à ce prêteur sur gage du Bowery, ce n'était pas pour en finir avec lui au bout de quelques minutes. La leçon qu'il allait subir devait lui durer pour les semaines à venir. Je mis temporairement fin aux souffrances de ma victime, déroulant mon fouet tout en projetant Jefferson contre la devanture de sa propre boutique, où il resta collé, à hoqueter.

White, il nous reste des accessoires du précédent... Magasin que nous avons dévalisé ? Demandais-je à ma partenaire de crime, les paupières plissées derrière mon masque.

Notre virée avait commencé comme n'importe laquelle de nos sorties en tandem : par de petites atteintes à la propriété privée, à l'intimité et à l'image des malchanceux qui attiraient notre attention. Notre duo, hyper complémentaire, mettait nos victimes à genoux : si la silhouette blanche et fuchsia de White Rabbit s'avérait plus visible qu'un néon dans le noir, la mienne, sombre, à peine esquissée, devait régulièrement sortir des ténèbres pour marquer la rétine. Ceux qui se laissaient trop facilement distraire par le très voyant lapin devenaient les proies du félin silencieux, et ceux qui tentaient de surprendre la discrète cambrioleuse finissaient pris de vitesse par la tumultueuse coureuse. Un peu plus tôt, un charmant monsieur pas très doué pour s'adresser aux femmes était devenu notre proie ; il avait fini penaud, la fesse droite ornée d'une marque de coup de fouet, et décoré d'articles que nous avions prélevé dans un sex shop. D'ailleurs, c'était le véhicule de ce gentleman que nous avions garé en face de l'échoppe de Jefferson.

Oh... Parrrrrrfait ! Ronronnais-je, en voyant la cagoule de bondage en latex qui nous restait de notre pillage dans l'East End. Jeffrey ? L'appelais-je, tout en avançant tranquillement dans sa direction.

Encore groggy, ce petit fumier tenta quand même de m'en coller une en se relevant. Je fis volter mes pieds dans sa mâchoire, roulant ensuite pour l'accompagner dans sa chute, afin de lui coincer le bras entre mes jambes. Une fermeture-éclair permettait de choisir si la cagoule autorisait son porteur à respirer ; mon doigt ferma cette ouverture, puis j'installais la capote sur la tête de l'usurier coincé dans ma prise. Aveugle, assourdi, il se mit à gémir, sans tenter de se débattre (il se serait déboîté l'épaule), ce qui me laissa tout le loisir de lui faire les poches. Billets et clefs finirent dans mon escarcelle, le reste fut balancé dans le caniveau.

Nous allons te cambrioler, mon trésor. Et t'abandonner, pour que tes clients puissent te tomber dessus, et possiblement profiter de la situation. Expliquais-je tout en faisant mon tri.

Les râles sous la cagoule se firent plus désespérés, plus rauques, et moins fréquents ; à nouveau, aucune sympathie ne me poussa à ouvrir la fermeture pour délivrer cet homme du supplice. Au contraire ; mes lèvres carmin s'approchèrent de la cagoule, pour lui susurrer doucement :

Allez, fais comme moi, Jeff' ; prend une longue et profonde inspiration. Sens tes poumons se gonfler d'oxygène et t'éclaircir les idées.

Un ultime soubresaut agita le cagoulé, puis il s'affala, inerte. Je m'empressai d'ouvrir la fermeture afin que ses jours ne soient pas en danger. Les minutes suivantes furent occupées par un pillage. Lorsque le coffre de la voiture fut assez rempli pour nous permettre d'ouvrir notre propre boutique, mes hanches roulèrent vers la lapine. Gentiment, je me servis de mon fouet pour l'approcher de moi, lui décochant un éloquent regard de braise, tandis que mes doigts délicats lui chipaient les clefs.

C'est moi qui conduis. Souris-je, en levant les clefs entre elle et moi, avant de foncer m'installer au volant.

Le spectacle déplaisant que m'offrit Jeffrey dans le rétroviseur s'imprima hélas sur ma rétine ; je regrettai instantanément d'avoir eu le réflexe d'y poser mon regard, ce qui, bien entendu, ne fit qu'accentuer l'hilarité de White à ma droite. Mon attention se recentra sur la route, histoire de laisser aussi vite que possible le supplicié derrière moi. La seule distance physique ne suffisant pas à noyer les images qui planaient dans ma mémoire, j'usai de ma technique favorite : jouer les casses-cous pour obliger ma cervelle à revenir au Présent. Ma conduite se fit inutilement dangereuse, faite de zigzags à fond la caisse entre les véhicules et de refus de la priorité. Plus le temps de frissonner sur le passé : seul l'instant éphémère comptait, seuls mes réflexes importaient. Faire rugir le moteur me permit d'extérioriser ma frustration, et qu'est-ce que j'en avais besoin !
J'avais beau m'évertuer à entrer dans le jeu de Rabbit, j'atteignais toujours mes limites avant elle, ce qui faisait de moi l'éternelle perdante du " qui choquera qui ? " auquel nous nous adonnions à chaque virée. Cette lapine pouvait descendre plus bas que terre sans jamais sourciller, ou du moins réussissait toujours à aller plus loin que moi dans l'irrespect des conventions sociales. Quelque-part, je me félicitais de ne pas sortir avec la lapine toutes les nuits ; ma mémoire aurait été envahie d'images idéales pour bloquer à jamais mes lèvres sur une grimace de dégoût. À force, White Rabbit me dégoutterait plus efficacement que Harley (qui me tapait sur le système, sans aller aussi loin que la lapine). En revanche, à petites doses, cette dévergondée de compétition me regonflait le moral à bloc (pas comme Harley), effaçant tous les doutes que je pourrais avoir quant à mon comportement ou mes décisions. Elle était de compagnie idéale en cas de rupture, ou après avoir subi une engueulade orageuse avec un brun ténébreux dont vous valorisez (malgré vous) l'opinion.

Très beau spécimen... Approuvais-je, en négociant mon ralentissement tout en consultant en diagonal l'écran que me montrait ma passagère.

Ah ! Les filles avec un compte sur tous les réseaux sociaux qui adoraient prêcher leurs grandes leçons de vie dans de courts billets taggés (et au passage, pourrir la réputation de leurs concitoyennes, parce que la réalité n'allait pas assez dans leur sens...). Gotham n'en manquait pas, de ces bêtes-là, mais il était extrêmement rare d'en repérer une dans son environnement naturel (elles étaient vivaces, ces petites bestioles ; méfiantes, et craintives. On les observait rarement de nuit, hors de leurs grands nids au loyer exorbitant). Notre voiture se plia docilement à mes contraintes, comme le bon petit bolide volé qu'elle se trouvait être, me permettant de conduire d'une main tout en regardant les montages (évidents), puis l'immeuble désigné par Rabbit, avant de reconnaître l'auteure des commentaires (étrangement moins sublime que sur sa photo de profil, pourtant certifiée sans filtres).
Nous avions reniflé notre nouvelle victime... Mais ma coéquipière, toute en spontanéité, ne se priva pas pour accélérer la rencontre. J'eus à peine le temps de voir sa jambe gauche se glisser entre les miennes pour écraser l'accélérateur. Noir, blanc, noir. Puis les chevaux s'emballèrent, et notre auto tamponna celle de la meute de hyènes en mal d'os à ronger. Pendant que la fautive se réjouissait du déroulement des opérations, je me mis à  glousser, incapable de résister à son rire communicatif. Le choc de la surprise passé, je me sentis plus vivante que jamais, et donc, bienheureuse. Dans l'une de mes oreilles pépia la voix furieuse d'une inconnue qui n'entama absolument pas mon amusement.

Attention, White ! Ne la provoque pas, elle risquerait de te tweeter à la figure ! Fis-je, en prenant un air exagérément inquiet, sans rien faire pour empêcher l'intéressée de se défouler sur une vitre.

Depuis mon siège, je voyais le reste de la meute observer la scène comme autant de mangoustes stupéfaites. Leur meneuse brune, perchée sur deux jambes dont elle ne devait pas être peu fière, ne ralentit pas son débit, même après avoir vu la lapine jouer de la batte. Du coin de l’œil, je pris soin de vérifier qu'aucune patrouille du GCPD n'avait pointé le bout de son pare-choc aux carrefours environnants, avant de sortir lentement de la voiture. L'occasion de dilapider un peu de notre butin dans des mains joliment proprettes était trop tentante... Sauf qu'une personne de ma connaissance, vêtue de blanc et de rose, s'en donnait déjà à cœur joie pour faire de la purée de Ford Ecosport. Une fois que Rabbit en aurait terminé avec elle, cette petite voiture allait avoir du mal à continuer à rouler dans le respect de la planète. Et le pire, c'est que de la voir latter des vitres et rayer de la carrosserie, ça me faisait un bien fou aux nerfs ! J'aurais pu la regarder faire des heures. Adossée à la portière de notre carrosse d'emprunt, je me délectai de la fureur en constante augmentation de la propriétaire, dont la tension risquait certainement de bientôt l'amener à l'explosion.

Depuis l'angle d'une des rues, un brave samaritain (pas trop laid, dans le style "jeune cadre dynamique"), les traits tirés par une expression scandalisée, fondit vers nous, avec pour seule arme son index brandi. Je le laissais venir, m'interposant malgré tout pour que Rabbit continue de se défouler. De la tirade du monsieur tiré à quatre épingles, je ne retins qu'une seule chose : il nous voyait comme deux brutes s'en prenant à d'innocentes victimes, et qui devraient avoir honte. Mon fouet cingla le sol à ses pieds, assez près pour qu'il puisse deviner à quel point la lanière risquait de lui faire mal, s'il s'approchait davantage.

Retourne à ta place, mon grand. Tu pourras venir consoler ces pauvres petites pouffes quand on s'en ira ; pas avant. L'avertis-je en me réappropriant sa posture de l'index pointé (le mieux se terminait par une griffe, indéniable avantage), pour voir ensuite White se rapprocher graduellement des mangoustes, tout en leur proposant malicieusement une prestation compensatoire qu'elles seraient loin de trouver attrayante.

J'ouvris grand notre coffre débordant d'articles volés à un prêteur sur gages, pour ajouter d'une voix enjouée : Sinon, on peut vous filer un lot de consolation. Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? Une jolie montre de contrefaçon ? Un vieux bouquin dédicacé par Oscar Wilde ? Proposais-je, non sans noter que le bon samaritain tentait maladroitement de voler au secours de ce qu'il imaginait être de gentes demoiselles en détresse en se glissant "furtivement" hors de mon champ de vision.

Tout le monde ne pouvait pas être Batman

Tant d'héroïsme, c'est admirable... Nous avions déjà le caquet de l'impératrice des mœurs à rabattre ; Lancelot le chevalier bénévole eut donc droit à une expédition musclée contre la Ford Ecosport, qui le laissa à terre.

La lanière de mon fouet l'avait cueilli au cou, s'y enroulant avec assez de fermeté pour lui comprimer la trachée. Instinctivement, il suivit le mouvement lorsque je tirai sur mon extrémité du fouet (en pivotant, pour exploiter mon allonge) et fila droit sur l'obstacle, front en avant. L'impact ne fit pas autant de bruit que le nôtre, mais demeura assez douloureux à entendre. Il y aurait de la casse, au réveil.

Ça va, il n'a pas d'éclat de verre enfoncé dans le crâne. Dis-je calmement à White tout en détachant mon fouet, avant de bondir d'une voiture à l'autre pour me réceptionner à côté de mon amie qui avait les mains prises. Alors alors... Personne n'a envie d'une fessée ? Vraiment ? Insistais-je, en me coulant de l'une à l'autre des jeunes filles tenues par ma camarade, sans oublier de surveiller régulièrement ce que faisait le reste du groupe. Pourtant, vous mériteriez franchement - à cet instant, la brune me cracha (plutôt adroitement) au visage, m'obligeant à faire une pause - Ha ! Vous méritez qu'on vous rappelle les bonnes manières. Terminais-je calmement, juste avant de coller un bon coup de poing dans le diaphragme de cette petite idiote. Tsss... Les bonnes sœurs de mon orphelinat t'auraient mise au pas direct' ! Déplorais-je.

Entendre cette garce cracher ses poumons atteignit presque le même niveau de satisfaction que la destruction de sa caisse. Sa pote, l'autre fille tenue par les cheveux, avait un bien joli haut, sur lequel je pus allègrement m'essuyer (en dégradant un peu la tenue de la demoiselle). Terrifiée, et nettement moins provocatrice que sa copine, elle ne reçut de ma part qu'une petite tape de remerciement sur la joue (je savais être gentille). Ensuite, incorrigible, je lui fis les poches, tombant comme je m'y attendais sur le petit kit indispensable des party girl de Gotham (ma gentillesse trouvait vite ses limites).

Comme il serait déçu, votre chevalier servant, s'il savait que vous consommez... Quoi, de l’ecstasy ? De la méphédrone ? Ou un nouveau truc à la mode ? Je plissai les yeux pour tenter d'identifier les comprimés que je venais de "trouver", avant de consulter White du regard, au cas où elle s'y connaîtrait plus que moi. Je lui ferai bien bouffer tout le sachet, à notre spécialiste des montages humiliants... Mais ça risquerait de la tuer. Et nous ne sommes pas si tendres, avec les connasses de ton genre. En empoignant entre mes griffes le menton de la connasse en question, je lui fis le sourire le plus glacial de mon répertoire. Toi, tu n'es qu'une sale petite créature toxique, qui salit les autres pour avoir l'impression d'être propre. Tu mériterait de te faire couper les doigts, pour qu'on te prive de ta capacité à balancer n'importe quoi sur les gens. Mais la merde, ça éclabousse, alors on va éviter de te tripoter trop longtemps. Sifflais-je en lui griffant légèrement la joue, avant de trouver, par association d'idées, une punition adéquate pour cette bourge nauséabonde, qui allait sans doute beaucoup plaire au Lapin Blanc.

Dis, White : tu ne connaîtrais pas un bon plan pour envoyer en express notre hypocrite donneuse de leçons au pays des merveilles ? Je savais que le Chapelier Fou avait des stocks d'hallucinogènes provoquant ce genre de délires (mais hors de question de traiter avec ce tordu) et que quelques personnes à Gotham pouvaient créer des drogues sur commande... Mais aucune ne m'avait à la bonne, en ce moment. Mon index chatouilla le nez de la brune. Je t'explique, ma puce : ma copine aux grandes oreilles et moi, on va se débrouiller pour t'administrer un petit "quelque-chose", puis on te balancera dans les égouts. Il est même possible qu'on dise à quelques personnes où tu as été jetée. Sauf que toi, tu seras en plein trip, à te croire dans le monde des licornes arc-en-ciel, où coulent des rivières de sirop et où poussent toutes sortes d'arbres comestibles. Toute à ton délire, tu te régaleras avec insouciance … Pour le plus grand bonheur des témoins. Et au moment où la drogue ne fera plus effet, j'en connais une qui aura sacrément besoin d'un brossage de dents. Insinuais-je, certaine que les victimes de cette peste ne se feraient pas priver pour filmer et poster quelques vidéos bien humiliantes de la jeune fille en train de barboter dans les eaux usées, et de porter à sa bouche ce qui devrait rester dans une poubelle.

Je certifiais qu'une fois ce séjour en eaux troubles terminé, miss longues jambes abandonnerait le trash-talking pour se reconvertir dans de l'ASMR, ou toute autre discipline n'impliquant pas de dévoiler son visage. Et bien que très investie dans mes réflexions punitives, je n'oubliai pas que le bon samaritain affalé près de notre voiture constituerait à n'en pas douter une supère future victime.

Du brillant à gauche, du brillant à droite, du brillant partout. La petite Pie ne savait où donner de la tête. Qu'allait-elle donc emporter ? Cette petite bague sertie de rubis ? La petite collection d’émeraudes ? Cette petite boite en argent ? Les dés en or ? Le clou qu'elle avait vu par terre ? Non, décidément, elle ne parvenait pas à se décider.

" Tu as une idée mon petit canari ? " Demanda la voleuse au prêteur sur gage étendu à côté d'elle, inanimé.

Ce dernier n'était plus très bavard depuis qu'il avait reçu un bon coup de talon dans la mâchoire et qu'une trace de griffe ornait son torse. Il était déconseillé de refuser quoi que ce soit à une Pie lorsque cette dernière avait aperçu le moindre éclat. Lui caressant le visage de l'index, elle sourit tout en ôtant la montre du malheureux de son poignet.

" Tu as raison. Je vais tout prendre dans le doute. "

Se redressant, elle remit son nez dans le coffre fort, fourrant tout ce qui brillait dans sa petite besace, jetant le reste derrière elle. Ainsi, une petite pile d'objets précieux mais non brillants se format dans l'arrière boutique. Enfin satisfaite mais ne manquant pas de vérifier dans le petit tas si rien ne lui avait échappé, elle retourna côté clientèle pour s'attaquer au contenu des vitrines. Ces dernières ne résistèrent pas aux griffes acérées du volatile. A l'intérieur, des objets de moindre importance. Boites à bijoux, peignes en argent, autant de petites choses d'une valeur sentimentale inestimable pour leurs anciens propriétaires, mais qui ne faisaient que briller aux yeux de la voleuse.

Inconsciemment, elle remplit sa besace déjà pleine, encore et encore, semant ses trésors aux quatre coins de la pièce. Un simple petit sac pour tout un magasin. Magpie n'était pas du genre prévoyante. Elle fonctionnait à l'instinct, esclave de son obsession. A sa décharge, le magasin pullulait littéralement de richesses récupérées sur le dos de pauvres âmes désireuses de boucler leur fin de mois. Même une équipe complète de braqueurs aurait eu du mal à tout emporter. Un parfait exemple de la décadence et de la misère de Gotham. Les riches roulaient sur l'or et les pauvres peinaient à survivre. Il n'était pas étonnant que le taux de criminalité soit aussi élevé.

Ayant enfin achevée sa tournée des vitrines. Magpie s'apprêta à repartir, comblée. Trébuchant sur un des trésors qu'elle avait semé, elle se retourna et écarquilla les yeux. Dans toutes les allées, plein de brillants. Des brillants qu'elle ne pourrait pas emporter.

" Oh non, non, non. "

Se jetant paniquée sur le sol, elle les ramassa, tentant vainement de les faire rentrer dans sa besace. Ce petit manège dura plusieurs minutes, durant lesquelles l'état de nerf de la Pie se dégrada. Puis, s'en fut trop pour la voleuse, qui se redressa et jeta violemment sa besace contre un mur, qui explosa.

" Non ! Non ! Non ! " Cria-t-elle.

Attrapant un extincteur, le volatile enragé commença à ravager la boutique. Après de nombreuses minutes de déchainement. Magpie s'arrêta, essoufflée. C'est à ce moment que le prêteur sur gage se réveilla, les effets du poison s'étant partiellement estompés. Sortant en titubant de derrière le rideau menant à l'arrière-boutique, un revolver à la main, il invectiva la voleuse.

" Sale putain.... je vais te... *BOUM* Dit-il avant d'être coupé dans son élan par un extincteur reçut en plein visage.

Le visage de la Pie était déformé par la colère. De ses bras perlaient des gouttes de sang dues aux éclats de verre. Faisant fi de ses égratignures, elle discerna le rideau. L’arrachant et l'étendant par terre, elle y déposa tous les brillants de la boutique, même si certains étaient désormais dans un état lamentable. Après avoir tout rassemblé et formé un imposant baluchon, Magpie quitta le magasin. Tirant avec peine son précieux butin, elle croisa des passants, attirés par le boucan. Haineuse, la voleuse fouilla dans le baluchon et en sortie le revolver du prêteur sur gage, n'hésitant pas à tirer aux pieds des trop curieux. Une sirène de police pouvait être entendue au loin. Elle n'avait pas de temps à perdre.

Sentant le danger, elle aperçut alors une voiture arrivant à vive allure dans l'avenue. Allant se planter au milieu de la route, elle pointa son arme et tira dans un des phares. Ce véhicule était son issue de secours pour elle et ses brillants. Peu importe qui conduisait, ce dernier avait intérêt à s'arrêter.

Edward Skeevers... De qui se foutait-il, en osant ramener son sale cul à Gotham ? Si on m'avait rapportée que ce misérable pouilleux prévoyait de revenir dans le secteur, j'aurais cru à une mauvaise blague. Skeevers, revenir dans une ville où tout le monde souhaitait sa mort par la plus douloureuse des méthodes d'exécutions possibles ? Même lui n'était pas si con ! Surtout que depuis son départ forcé, le milieu du crime gothamite ne s'était pas assaini, loin de là. Or, pour moi, la plaisanterie venait de se concrétiser, par le biais d'une merdeuse qui sanglotait actuellement dans notre coffre de voiture volée...

Hum ? Grognais-je d'un air distrait, les mains crispées sur le volant, en réalisant soudain que White me parlait depuis que j'avais enclenché le contact.

Mon cerveau raccrocha à "bizutage", et remonta le fil des précédents mots prononcés. Oui, Jezebel Tower. Nous étions en route vers cette tour de luxe, nommée d'après sa propriétaire, toute aussi richement parée et intéressante à écouter que son édifice immobilier. Les pensées hantées par des considérations relatives à ma récente découverte, je refis prendre de la vitesse à notre bolide cabossé , l'accélération m'aidant à réfléchir. Ma lapine de passagère, elle, avait apparemment déjà tout calculé pour la suite de la nuit.

Ces mercenaires "les plus forts du monde"... Incapables de descendre de leurs grands chevaux ! Compatis-je en hochant négativement la tête, en réponse à l'anecdote de White. Mais ça ne m'étonne pas de Slade ; il a tendance à se renfrogner, et à rester dans sa carapace de vieux bonhomme, quand il se retrouve face à une femme un peu trop... Décoincée. Glissais-je avec un sourire complice à la polissonne, en me doutant que le caractère mutin de cette dernière avait certainement mis mal-à-l'aise le très rigide Terminator, sans parler de sa tenue, que le borgne aurait sans doute voulue plus habillée (avoir encore des problèmes d'hormone, à son âge !).

Un coup de frein à main et une prise de virage bien serré plus tard (les pneus n'auraient bientôt plus de gomme), je revins à sa proposition précédente.

Dent est un homme simple, tu sais ; laisse entendre que tu as trouvé un plan génial pour éliminer Batman, et il te déroulera le tapis rouge. Fais savoir que tu as une sainte horreur des clowns, et que les nabots empestant la sardine te donnent des aigreurs d'estomac, et tu recevras une invitation manuscrite pour venir lui exposer ton idée. Assurais-je, désormais familière des coutumes locales à suivre pour décrocher une rencontre avec tel ou tel parrain du crime, non sans parvenir à totalement oublier ce que la bécasse m'avait murmurée, quand je m'étais approchée d'elle pour la transporter jusqu'à notre coffre.

Pendant que White aidait sire Lancelot de Quoi-je-me-mêle à épouser le sol de tout son poids, je m'étais accolée à la brune (qui ne verrais jamais les égouts façon pays des merveilles, hélas !) pour lui faire cracher le nom de son dealer (l'information pouvait intéresser des gens, chose que je monnayais toujours assez bien). Tremblante et choquée, elle s'était exécutée, me surprenant tellement avec sa réponse que je l'avais embarquée sans mettre en doute sa sincérité. Et maintenant, je roulais, à tombeau ouvert, modérément attentive sans parvenir à me détacher du fait qu'un infâme petit salopard persuadé d'être le roi du monde avait serpenté parmi les détritus pour revenir discrètement à Gotham. Edward Skeevers recommençait à faire du business dans nos rues, et ça me travaillait tellement que j'en oubliai de répondre à la question de White Même son tour de magie avec la seringue ne m'intéressait plus tellement, et heureusement ! Puisqu'au lieu de quitter des yeux la route pour m'adresser à White, je restais le regard tourné droit devant moi, et pus remarquer la silhouette qui se campa en plein centre de l'avenue.

Qu'est-ce que... Lâchais-je, en fronçant des sourcils, juste avant que le flash d'une détonation de pistolet ne manque de m'éblouir.

PAN ! On (une femme. Familière) venait de nous tirer dessus, et ferait certainement mouche. Bouffée d'épinéphrine dans mes veines, j'ai le cœur et le cerveau qui s'embrasent. Le temps se ralentit, les sons s'atténuent, la périphérie de mon champ de vision se floute. Je réaliserai après-coup avoir instinctivement agrippé le frein à main et viré de bord en tirant à fond le volant (du côté où les pneus étaient le moins éprouvé, en plus ! Une chance sur deux) pour que White se retrouve entre la balle et moi.
L'instinct de conservation venait de parler, et il me faisait prioriser ma survie par rapport à celle d'une femme, certes charmante et délicieuse au quotidien, mais qui ne méritait pas (encore) que je prenne une balle pour elle non plus. Je n'étais pas une sainte, après tout ! Et puis, à tous les coups, cette surprenante lapine devait avoir d'autres pouvoirs que la matérialisation de seringue, donc ses chances de survie dépassaient largement les miennes.

Il advint que la balle avait juste éborgné notre caisse, ce que je pus furtivement voir en me remettant des soubresauts qu'avait engendrés mon mouvement de volant. La voiture se trouvait en travers de l'avenue, avec de mon côté une femme (Magpie ! C'était pour ça qu'elle m'avait parue familière ! D'ailleurs, elle semblait un peu amochée...) tenant toujours son flingue fumant dans la main, et un baluchon sur l'autre épaule. Des hurlements d'épouvante m'incitèrent à regarder en arrière, et surprise ! Nous avions mal fermé le coffre (ou alors, nos tourtereaux avaient invoqué le fantôme de David Copperfield pour réussir à crocheter la serrure de l'intérieur, et préparer leur évasion de l'habitacle) : Roméo et Juliette gisaient, étalés sur l'asphalte (morts ou vivants, difficile à dire, mais la seconde éventualité me rassurant plus, c'est elle que mon esprit retint). Pour les témoins civils de la scène, les deux jeunes gens paraissaient en sale état (et entravés. Par ce qui ressemblait à des chaînes en or..), ce qui expliquait les cris hystériques... À moins que ce ne soit la vue d'une voleuse armée et sanglante qui ne les ait effrayés.
Moment idéal pour éclater de rire telle une perdue, n'est-ce pas ?

Ha ha ha ! Je... Hu hu... Je ne m'en lasserai jamais ! Gloussais-je entre deux saccades hilares, en ressentant les effets merveilleusement euphorisants de l'après-adrénaline.

Les notes si mélodieuses d'une sirène de patrouille pulsèrent depuis un carrefour proche, ce qui, ajouté à la panique régnant dans l'avenue et à l'état de la devanture d'un magasin proche, acheva de me résumer le tableau.

Monte à bord, ma grande ! Criais-je (pour couvrir le bruit ambiant) à l'attention de la chipie griffue, en me tortillant pour lui ouvrir par-dessus mon épaule la porte passagère. Et t'en fais pas, pour le sang sur la banquette : c'est pas notre bagnole. Dis-je d'un ton léger à la blessée, dont l'hémoglobine coulait par filets depuis ses avants-bras. White Rabbit, Magpie ; Magpie, White Rabbit. Vous pourrez comparer vos centres d'intérêts et vous complimenter sur vos tenues respectives quand on aura recommencé à rouler ! Conclus-je en faisant patiner les roues d'un écrasement de l'accélérateur, parce que les voitures du GCPD commençaient à être sacrément proches à mon goût.

En rugissant fièrement, notre vaillant bolide reprit abruptement de l'allure, et je me réjouis de voir que, dans le rétroviseur, nos otages se relevaient laborieusement (ils étaient donc en vie ! Et ralentiraient les flics, en les appelant à l'aide). Le centre-ville commençait à être sacrément animé, pour un soir de semaine !

On comptait allez à Jezebel Tower, avec White. Tu veux te joindre à nous ?  Demandais-je, en consultant mon interlocutrice via son reflet dans le rétroviseur intérieur.

Le coup de feu avait retenti dans l'avenue, précis, éclatant l'un des phares du véhicule. Ce dernier dérapa pour se retrouver en travers de la route, immobile. La Pie en profita pour franchir les quelques mètres la séparant de sa porte de sortie, arme toujours au poing. La conductrice était une de ses connaissances, une célébrité, car il ne s'agissait ni plus ni moins que de la fameuse Catwoman. Une amie, si telle relation pouvait éventuellement exister dans le milieu de la pègre. Le visage de la voleuse s'assagit et son état de nerf s'améliora significativement. Alertée par les cris des passants, elle remarqua des chaines en or entortillées juste derrière la voiture de sa comparse. Abandonnant quelques instants son baluchon, elle les récupéra d'une main experte et leur fit rejoindre son précieux butin. La Pie se hâta en entendant le cri de sa chère "amie" et grimpa à l'arrière. A peine montée et son butin en sécurité à côté d'elle, elle releva la tête et remarqua enfin la demoiselle assise sur le siège passager. White Rabbit, un nouveau nom qu'elle allait devoir retenir. Une sorte de lapine rose et blanche. Les rues de Gotham étaient décidément de plus en plus étranges. Perdue dans ses réflexions, Magpie se retrouva avec une flasque dans sa main à la place de son arme.

" Jezebel Tower ? J'ai déjà fait mes courses moi Cat.   " Dit-elle en prenant un peu d'alcool en bouche.

Écoutant l’auto-description de cette nouvelle connaissance de la nuit, elle récupéra son arme et la posa à côté d'elle. Recracha l'alcool sur ses mains, elle les passa ensuite sur ses bras pour désinfecter les multiples coupures qui s'y trouvaient. Du gâchis pour tout connaisseur de ce genre de breuvage, mais la Pie ne buvait pas. Voyant le regard scrutateur du Lapin Blanc, elle fronça les sourcils. Que pouvait-elle avoir à la détailler de la sorte ?  

" Non. Magpie pour toi. "

Enfin, la jeune lagomorphe cessa et passa sa tête à travers la vitre avant. Probablement pour profiter de l'air de la soirée. La suite du programme était donc déjà fixée. La police était encore dans les parages et la distance avec sa planque ne cessait de grandir. Relevant le regard en direction du rétroviseur, elle croisa celui de la chère Catwoman. Le Lapin Blanc était un peu trop turbulent à son goût. Le regard échangé fut plus éloquent que des mots. Magpie soupira en perdant son air renfrogné. Elle ne s'est jamais attaquée à aussi gros. Elle se contentait simplement d'un magasin par nuit de rapine. Cette entreprise pouvait s'avérer dangereuse. De plus, elle n'avait pas la moindre confiance en ce lapin surexcité. "Enfin, tant que Cat ne trouve rien à redire, tout se passera bien" pensa-t-elle. Que pouvait-elle craindre ? Elle avait ses griffes, une arme chargée prête à l'emploi.

" Qu'est ce qu'on attend ?  "

Ouvrant la portière arrière à la volée, elle saisit le haut de la carrosserie et, tirant le reste de son corps en lui faisant subir une rude contorsion, se retrouva debout sur le toit du véhicule. Sortant ses griffes de sa main non armée, un sourire carnassier se dessina sur son visage. Le coin devait déborder de brillants, de précieux brillants qui viendraient grossir son nid.

Un coup d’œil dans le rétroviseur extérieur m'apprit que le GCPD ne se dédierait pas entièrement au sauvetage de deux civils capturées par les dangereuses criminelles que White et moi étions. Chic ! On allait nous poursuivre... Ou tenter, tout du moins, parce qu'après avoir frôlé la mort d'aussi près, j'avais le sang bouillonnant d'adrénaline, et des réflexes de pilote de course ! La main sûre, je fis osciller et le volant et notre bolide en maximisant les prises de risques, mon talon écrasant l'accélérateur et boudant les freins. Ralentir ? Pourquoi faire, lorsqu'il suffisait d'interrompre l'accélération avant de la réenclencher après avoir modifié l'angle du véhicule sur la route ? Le chevalier noir (ou l'un de ses disciples) aurait pu se maintenir dans mon sillage, mais pas un policier de Gotham trop attaché à une vie sans dangers. Nous roulions dans un centre-ville bourré de potentielles victimes et d'infrastructures qu'aucun fonctionnaire ne souhaiterait dégrader, aussi m'en donnais-je à cœur joie, peut-être légèrement inconsciente dans ma négociation des virages. À ma droite, une main gantée de blanc m'approcha des lèvres le goulot d'une bouteille, dont je reniflai brièvement les vapeurs (sans quitter la route des yeux) avant de m'en détourner.

De l'alcool ? Mais c'est pourtant moi qui conduit ! Fis-je mine de me scandaliser, étant donné que, comme le savait la lapine, je n'étais pas du genre à refuser un verre offert.

Toutefois, à force de fricoter avec la bourgeoisie et ses consommations gratuites, mon palais avait développé une certaine exigence gustative, et de ce que j'en avais senti, le bourbon que White prétendait partager avec moi devait avoir été acheté en supérette, et pour une somme très modique. Que la femme aux iris fuchsia puisse tolérer cette mixture ne lui valut pas de descendre dans mon estime, mais je valorisais trop mes propres papilles pour avaler la moindre gorgée de son flacon (Magpie non plus, d'ailleurs ; elle, en revanche, trouva une certaine utilité à cet alcool bon marché).

Fais pas attention à White, ma grande. Lançais-je d'ailleurs à ma collègue, en l'observant dans le rétroviseur intérieur. Elle fait sa provocatrice et multiplie les regards enjôleurs, mais c'est une fille sympa. Elle aime juste voir du sang, comme toi, tu aimes les trucs qui brillent. En cas de besoin, on peut compter sur elle. Promis-je, sans en être entièrement convaincue moi-même. Et bien qu'elle soit habillée en lapine, elle ne te sautera pas dessus. Plaisantais-je, en réservant une œillade à l'intéressée, qui n'aurait certainement pas manqué d'entretenir le mystère juste pour s'amuser si je ne l'en avais pas empêchée en braquant sans prévenir.

La voiture de patrouille qui s'acharnait à nous courser pilla au moment de devoir me suivre entre deux poids-lourds qui se rapprochaient dangereusement ; j'eus à l'attention du conducteur un petit geste d'adieu de la main par ma fenêtre. Les flics risquaient de signaler notre véhicule par radio à tous leurs compères, par contre. Heureusement que nous étions bientôt arrivées à destination (et que le parking de Jezebel Tower regorgeait de bolides à "emprunter"). Bien calée dans mon siège, je fis vrombir de plaisir les chevaux ; plus de poursuivants sur nos talons aurait pu m'inciter à lever le pied, mais je n'en fis rien, préférant accélérer davantage notre arrivée à la tour des potiches, tout en reprenant, à l'adresse de ma voisine :

Magpie est une étoile montante du cambriolage, White. Elle est presque aussi douée que moi, et elle me bat à plate couture, question efficacité au corps-à-corps. Tu pourras bientôt te vanter de l'avoir croisée cette nuit. Est-ce que j'exagérais ? Juste un peu, alors... Et Magpie avait besoin d'encouragements. À sa place, ça m'aurait fait du bien, de voir qu'une autre voleuse me faisait confiance pour progresser et percer. Dans la catégorie des risques tout qui ne se défilent jamais, je la mettrais au sommet du classement, à égalité avec nous deux. Affirmais-je, en choisissant de nous classer ex-æquo en terme de témérité pour ne vexer personne.

En mon for intérieur, je pensais sincèrement être un cran en-dessous des deux femmes aux cheveux blancs, et je suspectais même Magpie de pouvoir affronter des situations qui auraient découragé l'insouciante lapine. Il ne s'agissait cependant que d'hypothèses personnelles (qui allaient peut-être se vérifier ce soir ?), et puisque nous n'en n'étions qu'à notre première soirée ensemble, autant éviter les comparaisons fâcheuses... Surtout que nous arrivions en vue de la façade imposante de la tour/centre commercial de Gotham, l'édifice prestigieux où la population aisée venait dépenser son argent sans avoir plus d'efforts à faire que de monter et descendre des étages. Restaurants, bijoutiers, prêts-à-porter, parfumeries (et armes à feu, donc, d'après White)... Tous les magasins pour riches se concentraient dans cette structure verticale plus lustrée qu'un sou neuf, et plus aseptisée qu'une salle d'opération.
Autant dire que nous allions faire tâche.

Tous les commerçants avaient tiré le rideau, à l'heure où je garai notre véhicule (qui commençait à montrer d'évidents signes d'usure et de faiblesse... Il était temps d'en changer). Toisées par les innombrables fenêtres dorées de la tour, chacun de nous sortit à sa manière (et ce fut un peu le concours de la souplesse articulaire). Amusée par cet étalage de souplesse, je sortis la dernière, et de façon traditionnelle (surtout parce que je ne pouvais pas surenchérir l'improbable contorsion de Magpie). White était installée sur le capot de la bagnole telle une charmante bunny girl dans un salon automobile. De son côté, campée sur le toit, notre récente passagère n'attendait qu'un top départ pour s'élancer à la recherche du brillant, tenant son flingue d'une main et faisant jouer ses griffes enduites de toxine avec l'autre.

Tu en planques, des trucs, là-dedans... Lançais-je à la lapine aux yeux malicieux, en désignant du regard le corset blanc dont elle semblait pouvoir sortir tout et n'importe quoi.

La formulation employée par la fripouille à grandes oreilles me laissa mitigée : sa télécommande magique n'avait pas pour fonction de faire littéralement exploser la salle de surveillance, pas vrai ? Ça aurait impliqué des morts en pagaille...

Les flics ne tarderont pas à savoir qu'on est ici ; il faudra pouvoir se barrer en vitesse, et si on a chacune un véhicule, c'est tant mieux. Approuvais-je, validant implicitement la proposition de mon amie d'escapade en détaillant un peu les automobiles qui se trouvaient dans les parages. D'une voix énergique, je repris : Prenez tout ce qui vous plaît, mais sans vous éterniser ; il faut qu'on se barre avant que le GCPD ne nous tombe dessus en nombre . Un embryon de plan s'organisa dans mon crâne ; je pensais déjà aux vilaines bêtises que j'allais pouvoir faire, dans la tour, et ça nuisait à mes capacités de réflexion. Considérez que vous avez dix minutes pour vous faire plaisir ; ensuite, chacune emporte son butin dans l'une des caisses volées par White, et on fonce vers les docks, du côté de Little Italy. J'avais un rendez-vous avec Edward Skeevers, là-bas...

Oh ! Et rappelez-vous, les filles : l'important, ce n'est pas de gagner, c'est de s'amuser. Assurais-je d'un timbre feutré, la main sur la hanche, en échangeant avec mes deux interlocutrice un regard complice.

Je plaignais d'avance les gens que nous allions croiser dans la tour... Mais ça ne m'empêcherai pas de m'éclater à leurs dépends. Jezebel avait besoin de voir que la vie était faite pour être croquée à pleines dents !

Les directives avaient été énoncées par la femme chat. Le plan était établi et chronométré. Il ne restait plus qu'à agir. Laissant la Lapine s'occuper de la surveillance, la Pie avait accompagné la féline jusqu'à une des entrées. Une porte verrouillée ne représentait pas un obstacle pour deux voleuses expérimentées. Ainsi quelques instants plus tard, elles déambulaient à l'intérieur de la fameuse tour. Point d'alarme, la lagomorphe devait avoir réussi son coup, laissant toute liberté aux vols et rapines. Les minutes allaient être courtes mais intenses.

De toute côté des magasins de luxe: prêt-à-porter, œuvres d'art, parfums, montres, bijoux. Tout était conçu pour que chaque client pénétrant dans la tour y trouve son compte, du moins si son portefeuille était assez épais. Une ode à la richesse, à la démesure et au pompeux. Digne de sa propriétaire. Le paradis pour des voleurs.

" Je n'étais encore jamais venue ici. C'est une première, mais on dirait que c'est le paradis. "

Laissant son regard se promener sur les différentes devantures, Magpie s'immobilisa en discernant une enseigne de bijoux. Interrompant sa conversation avec la féline, comme en transe, elle se saisit d'un extincteur et l'utilisa pour faire voler une des vitrines en éclat. Malgré sa carrure fluette, la voleuse disposait de muscles vigoureux dus à ses nombreuses escapades nocturnes. L'inconscience de ses limites physiques devait également y être pour beaucoup. Pénétrant dans la boutique, elle fit aussi rapidement et méthodiquement que possible l'inventaire des bijoux s'y trouvant. Quelques instants plus tard, elle ressortie avec un baluchon improvisé avec un rideau. Ce dernier regorgeait de trésors brillants que la Pie s'empresserait d'ajouter à son nid. Comme sortie de sa transe, elle rejoignit la voleuse féline. Arborant une magnifique tiare parsemée de saphirs (sans doute la plus belle  de toute la collection de l'enseigne), des bracelets dorés également sertis de pierre précieuses et une dizaines de colliers, la Pie s'autorisait quelques pavanements. L'excès de parures rendant l’assortiment difficile, l'allure de la volatile était tout à fait ridicule, mais n'étaient-elles pas là pour s'amuser ?

" Et toi, tu as trouvé des choses à ton goût ? "

Prête à admirer les éventuelles trouvailles de Cat, son regard fut attiré par un reflet à travers l'une des nombreuses vitres de la tour. Des gyrophares qui annonçaient encore davantage d'amusement. La Pie aimait beaucoup jouer avec les forces de l'ordre. Leur échapper après ses rapines était l'un de ses sports favoris.

" On va avoir des invités dans pas longtemps. Ça te dit de jouer à chat ? "

Même obnubilée par tous ces précieux brillants, toutes ces richesses dont-elle était vêtue, elle n'avait pas manqué une miette de l'acrobatie de la féline. Cette chute libre, ce balancier, ce salto superflu. Elle était une vraie casse-cou, tout comme elle. Une chose de plus qui les réunissaient et qui ne cessait de conquérir la Pie. En effet, si son esprit dérangé avait beaucoup de mal avec les conventions sociales et que la notion d'affection demeurait spéculative - son obsession des brillants dirigeant sa vie en tout lieu toute circonstance - depuis qu'elle avait rencontré la fameuse Catwoman, elle avait tendance à apprécier chaque moment en sa compagnie. Le développement d'une relation amicale ? La chose était si naturelle qu'il y avait des chances pour qu'elle s'affirme.

Accueillant le compliment de sa partenaire de vol avec un large sourire, elle fit une moue interrogative lorsque cette dernière sorti de sa ceinture deux manchons noirs. Si son attention avait déjà été captée par les petites pierres précieuses qui les ornaient, elle s'interrogeait. La féline n'avait donc rien récupéré d'autre dans les nombreux magasins de luxe qui les entouraient ? La question fut balayée de son esprit lorsque sa partenaire affirma que ces manchons étaient pour elle, afin de couvrir ses bras. Une voleuse qui offrait un cadeau à une autre voleuse. Jamais encore elle n'avait été confrontée à cette situation. Comment devait-elle réagir ? Écarquillant les yeux, la Pie se contenta d'accepter le cadeau. Pensive, elle s'en para et son attention fut attirée par les gyrophares de l'extérieur. Lunatique comme jamais, elle proposa un petit jeu à sa comparse, oubliant ces instants d'égarement.

Celle-ci accepta, s'accordant même une petite provocation à l'attention de deux gardiens qu'elle avait repérés. L’ascenseur qui les transportait allait bientôt arriver à leur étage. La vigilance, un atout dont disposait la féline mais pas la volatile. On n'avait pas besoin de faire attention lorsqu'on dévalisait plus vite que son ombre. Il suffisait de s'enfuir avant l'arrivée des forces de l'ordre. Néanmoins, la fuite semblait cette fois-ci, si non compromise, plus délicate.

La Pie fit la moue lorsque la féline déclara qu'elle s'occuperait des uniformes. Elle ne pouvait selon elle y résister. Disposait-elle également d'une obsession ? Abandonnant ses réflexions avec la promesse de potentiels brillants, elle entendit le bruit d'un fouet et perdit sa partenaire du regard. Préférait-elle jouer à cache-cache finalement ? Ou bien attendait-elle de bondir sur les arrivants, comme le chat sur l'oiseau qui avait le malheur de se poser tout près de lui ? Haussant les épaules, elle s’avança vers l’ascenseur sans sourciller. Le bruit caractéristique de l'élévateur arrivant à destination retentit et les portes s'ouvrirent. Les deux gardiens apparurent face à la voleuse, arme au poing. Ces derniers la braquèrent instantanément.

" On ne bouge plus ! " Dirent-ils alors que leurs armes tremblaient à la vue de cette voleuse à l'accoutrement douteux.

A Gotham, les criminels habillés de façon excentrique étaient souvent les plus dangereux et rares étaient les gens qui osaient s'y frotter. Même si Magpie était une voleuse davantage qu'une criminelle, elle ne dérogeait pas à la règle. Faisant osciller son regard entre les deux gardiens, silencieuse pendant de longues secondes, elle finit par sourire.

" Miaou... " Dit-elle simplement.

Tout se passa alors très vite. Plongeant vers l'avant en écartant les deux armes tendues vers elle, elle entra dans l’ascenseur. Prenant appui sur la jambe d'un des gardiens - manquant de lui briser le genou dans la manœuvre - elle plaça sa main sur sa tête. Se propulsant en l'air, elle se retrouva parallèle avec le sol, les deux gardiens et elle formant comme une arche. Poussant de toutes ses forces sur ses jambes et son bras, elle fracassa la tête des deux gardiens contre les parois de l’ascenseur. Terminant son acrobatie, elle se réceptionna sur le sol un genou à terre alors que les deux hommes s'écroulèrent, inconscient. Vérifiant qu'aucune de ses parures n'avait souffert, elle se releva avec un petit sourire satisfait sur le visage. Sortant de l'ascenseur, elle appuya au passage sur le bouton de l'étage le plus élevé. La menace avait été neutralisée. Mais une autre s'avançait déjà. Les faisceaux de lumières des lampes de poche des policiers balayaient l'entrée de la tour. L'un d'eux s'approchant dangereusement d'elle, elle plongea par réflexe, se dissimulant derrière une petite structure décorative.

A force d'improviser et de manquer de vigilance, la Pie venait de manquer de se faire piéger. Invisible derrière sa structure, elle ne manquerait pas d'être aperçue si elle s'en extirpait. A cet instant le chat était devenu la souris et les souris les chats. Entendant les bruits de pas se rapprocher d'elle, Magpie sortit ses griffes. Jamais personne ne la mettrait en cage. Prête à bondir lorsque des policiers se risqueraient à passer à portée de ses griffes, elle patienta, oubliant qu'elle disposait d'une alliée dans le coin. En effet, les petits chatons risquaient de ne pas faire long feu face à la Reine des chats.

Ma partenaire de crime, auréolée de son butin étincelant, convergea vers l'ascenseur pratiquement au même moment où l'écho de pas lents et attentifs accompagnait la formation d'ombres sur le sol. À l'oreille, je tentai une première estimation du nombre des nouveaux venus, dépêchés à Jezebel Tower suite au petit dysfonctionnement de la sécurité du centre commercial.

Un, deux, trois... Possiblement quatre ? Murmurais-je d'une voix enjouée, assez faible pour qu'elle ne parvienne pas déjà aux oreilles des braves messieurs de la police. Si je m'étais donnée la peine de me fondre dans l'environnement et faire de ma présence une surprise, ce n'était pas pour me trahir si prématurément !

Grâce aux faisceaux de leurs lampes, j'eus la confirmation que c'était bien deux binômes que le GCPD avait affectés à la patrouille. Au moins l'un d'eux était une femme, d'ailleurs. Ils commencèrent leur examen du périmètre par de très protocolaires conversations et signalements radios sur des signes d'effraction, le genre de sérénade que j'aurais pu fredonner à l'unisson avec eux tellement je les avais entendues (par exemple : « 133, 146, possible 150, terminé » décrivait une entrée par effraction suivie d'un cambriolage par un individu possiblement dangereux. Je les jouais à la tombola ; c'était mes numéros préférés). Une des lampes accrocha de loin les bris de verre laissés par la pie, et serpenta pour évaluer la nature de l'intrusion. Personne ne se précipita ou ne s'écria d'une voix forte « Police ! Sortez les mains en l'air ! » ; l'ambiance était plus à l'analyse minutieusement et distante de chaque nouveau mètre carré découvert par une torche, avec relais de chaque découverte au central de la police.

Nous étions à Gotham, ne l'oublions pas. Un contrôle de routine, même un simple tapage nocturne, pouvait dissimuler les activités d'un super-vilain en devenir ou d'un évadé d'Arkham, tout représentant des forces de l'ordre le savait. L'escouade franchit donc lentement les portes d'accès du rez-de-chaussée, lumières pointées devant eux et armes au poing, prêts à faire feu en entrant dans cet espace spacieux, mal éclairé, et potentiellement hostile. De ma hauteur, je pouvais m'assurer qu'avec la distance et à la faveur de l'obscurité, ma consœur chapardeuse n'allait pas être aperçue tout de suite. Sa tenue noire et l'allure prudente des policiers jouaient pour elle ; contrairement à moi, ces derniers ne voyaient pas dans le noir, et ne disposaient pas d'une vue aérienne. Les nombreux obstacles entre Magpie et la police lui assuraient de bonnes minutes de tranquillité. En revanche, elle risquait de perdre rapidement cet avantage si elle recommençait à briser des devantures ou à faire du bruit. La connaissant, ça finirait par arriver... Sauf si une volonté extérieure intervenait pour distraire l'attention du quatuor de flics. Or, il se trouvait justement ma personne, lovée telle un minou ravi de son observatoire, de disponible pour rebattre les cartes. Toute frétillante de voir ces souris avancer sur mon territoire, je fis ce que la chauve-souris faisait depuis si longtemps que j'en étais venue à l'imiter : analyser la situation, identifier les failles exploitables, et planifier l'ordre dans lequel j'allai aborder cette troupe, à la fois très aux aguets et complètement ignorante de ma proximité.

Je m'imaginais avec quelle aisance White aurait pu se glisser d'un battement de cils derrière le plus crispé des agents pour lui coller une frousse monumentale et provoquer une malheureuse fusillade entre membres du GCPD ; ça lui aurait sans doute arraché un fou rire intarissable, d'amener des figures de l'autorité à s'entre-blesser (voire s'entre-tuer) sans avoir porté le moindre coup. Malheureusement, nous n'avions pas toutes ses capacités de sprinteuse. Mon projet à moi s'appuyait moins sur la vélocité, et faisait plus dans le feutré. Doucement, je me mis à progresser hors de mon perchoir vers l'arrière-garde. Des trois hommes menés par une femme, en contrebas, se reformèrent bientôt les deux unités de patrouilles. La meneuse promena à nouveau brièvement sa lampe en direction du carnage perpétré par Magpie, secondée par celui qui devait être son partenaire. Lui regardait un peu partout pour dénicher d'éventuels imprévus supplémentaires, sans parvenir à me piéger avec sa lumière (j'eus à peine à replier une jambe pour parfaire ma fusion avec les ténèbres). Mon regard joueur s'attarda sur l'un des deux agents en retrait, celui qui avait emporté un fusil à pompe (certainement pour s'assurer d'avoir la plus grosse, en cas de rencontre hostile). Il serait ma première victime. Comme quoi, la taille comptait vraiment (lorsque l'on espérait être neutralisé en priorité). Ce duo exclusivement masculin avait été affecté à la couverture de l'accès principal, pour empêcher à tout intrus de se faufiler vers l'extérieur pendant qu'on le chercherait à l'intérieur. Heureusement pour eux, je n'étais pas du genre à poser un lapin ; quand on venait me trouver, je restais là où m'attendait. Et je ne me montrais jamais timide, comme M. Gros Canon ne tarda pas à le découvrir, lorsque mes membres s'enroulèrent depuis son dos autour de son torse. J'avais verrouillé mes jambes autour de son bassin, tout en utilisant mes bras pour à la fois paralyser les siens et l'étouffer.

Joli joujou ! Le complimentais-je d'un murmure mutin en lui léchant la joue pour l'empêcher de réfléchir froidement.

Son réflexe fut d'essayer de me décrocher en tâtonnant pour m'agripper – chose que ma prise empêchait. Tout mouvement des bras lui faisait trop mal pour être envisageable. Son idée suivante, plus inventive, fut de chercher à me faire partir en se servant de ses jambes – dont il possédait encore la pleine mobilité – pour m'écraser au sol. Hélas, j'avais anticipé cette stratégie. Mon corps pouvait agir en contre-poids de ses déplacements, handicapant le moindre de ses efforts pour se jeter en arrière. Et ma vilaine main l'empêchait d'émettre le moindre son, même un tout petit grognement d'alerte pour son collègue, pourtant tout prêt. L'air vint trop vite à lui manquer, avec toute son agitation, et l'urgence de son état l'empêcha définitivement de garder son calme – ce qui lui aurait offert quelques secondes de plus pour lutter. Dès que je le sentis se relâcher, mes jambes déverrouillèrent leur emprise pour prendre appui sur ses lombaires, afin que d'une poussée, je l'envoie valdinguer, déjà inconscient, droit sur son partenaire. Celui-là était encore en pleine possession de ses moyens... Pour le moment. Il ne s'attendait pas à être renversé par un poids mort de plus de quatre-vingt kilos, et s'empêtra dans son collègue en grognant pendant que je prenais de l'élan pour lui foncer dessus. Une roue, un salto, et je fus sur lui avec assez de vitesse pour que mon coup de pied lui fasse l'effet d'une masse. L'air vrombit lorsque ma semelle le faucha de gauche à droit dans un ample direct rotatif. Ce fut comme si une brique s'écrasait sur sa tête, et il s'effondra net. M. Gros Canon, dépossédé de son arme, revint un peu trop tôt à lui (je n'avais pas attendu assez longtemps en l'étouffant). Groggy, il marmonna confusément quelques syllabes, puis ses yeux louchèrent sur moi lui décochant un sourire narquois avant de le cogner entre les sourcils. Appuyée sur le sol, je pris les piles des radios des deux agent que j'avais mis K.O. sans qu'ils puissent crier gare. Mes mains s'emparèrent également du fusil à pompe (après l'avoir déchargé).

Pendant ce temps, ma cadette avait opéré sa propre " prise de contact " avec la sécurité, ce qui força un peu ma main. En dépit de la distance, les brefs échanges (de mots, et de coups) qui retentirent dans la tour silencieuse suffirent à alerter la police en pleine inspection des lieux, qui avança plus précipitamment (ou moins prudemment, pour être plus exacte) vers l'ascenseur, renvoyé malicieusement vers le sommet de Jezebel Tower. Personne ne souleva la suggestion d'ordonner à l'intrus non-identifié de rester là où il se tenait pour être appréhendé. Ce réflexe avait été perdu depuis longtemps, dans la ville de Batman ; désormais, jusqu'à preuve du contraire, tout agent pré-supposait que la menace était non-conventionnelle, et qu'elle ne réagirait pas aux avertissements ni aux semonces. Avec discipline, les forces de l'ordre restantes se déployèrent sur la pointe des pieds pour interpeller ce qui venait d'assommer les vigiles. Je reconnaissais là un duo habitué à travailler en synergie, capable de communiquer juste avec des regards et quelques signes. Leur seule concession faite au silence fut un bref compte-rendu par radio, lequel tomba dans l'oreille d'un sourd pour certains destinataires. Contrainte de presser le pas, je fis de mon mieux pour rattraper Magpie, cabriolant et bondissant dès que j'en avais l'occasion pour gagner des mètres et progresser furtivement (mais sans user de mon fouet ; son claquement portait trop loin). Bien que ce soit un peu précipité, la distraction créée par ma collègue m'offrait une fenêtre d'opération idéale : l'attention des patrouilleurs venait de se focaliser dans sa direction, ce qui les rendrait nettement moins vigilants sur le reste – notamment, l'absence de réaction de leurs confrères restés en arrière. Persuadés d'avoir leurs arrières gardées, ils se permirent d'avancer vers le danger, sans s'inquiéter de ce qui pouvait poindre dans leur nuque. J'en aurais presque regretté d'avoir supprimé les deux policiers de l'entrée ; avec leur torches pour m'éclairer, ça aurait créé une ombre annonçant ma venue de la plus sinistre des manières !

Ça aurait été d'autant plus jouissif de trahir ainsi ma présence que monsieur et madame Lapolice semblaient convaincus d'avoir l'avantage, chacun échangeant avec l'autre des signes de tête affirmatifs, les doigts calés sur la crosse de leur arme. Cette ambiance assurée s'évapora lorsqu'un fusil à pompe adroitement lancé percuta le crâne de la policière, la déstabilisant le temps que j'aille danser un tango très serré avec son acolyte. Accolés l'un à l'autre, je nous fis tournoyer en lui immobilisant les bras, emmêlant prises et enlacements, romantisme et agressivité.

Viens voir un peu par ici ! Lui ronronnais-je, amusée, en déplaçant agilement mon corps pour déjouer chacune de ses tentatives pour m'immobiliser avec une grossière technique de judo.

Une vrille supplémentaire accentua l'élan que j'avais initié par mes esquives, assez pour que je puisse me laisser tomber à terre en emportant mon cavalier à ma suite. Ma planchette japonaise, exécutée en toute fluidité, prit de court le porteur de badge, qui bredouilla un début d'exclamation lorsqu'il réalisa que je l'envoyais voler dans les airs. Sa rencontre fracassante avec sa coéquipière lui coupa le sifflet ; après collision, les deux partenaires gisaient à terre. Sachant que Magpie devait se trouver dans les parages, je me remis d'aplomb de la plus gracieuse des manières, en opérant un poirier inversé qui tira sévèrement sur mes muscles, mais souligna ma flexibilité articulaire.

Bon ! On file dès maintenant pour prendre de l'avance, ou tu veux attendre qu'ils reviennent à eux, pour équilibrer les choses ? Voulus-je savoir, en calant un poing contre ma hanche, mes pensées principalement dirigées vers la sortie et les véhicules qui nous attendaient.

Les griffes acérées, prête à happer toute proie arrivant à sa portée, Magpie se comportait comme une prédatrice. Mais contrairement à ses homologues du règne animal, elle se contentait de jouer avec, de les blesser. La mort était une chose bien trop grave pour la confier à quiconque qu'à la grande faucheuse. Mais plus encore, la Pie tenait à ce qu'on se souvienne de son plumage. Les morts ne parlaient pas, mais les vivants oui, pour peu qu'ils aient encore suffisamment de dents après leur rencontre avec la volatile. Néanmoins, pour cette nuit-ci, ses opposants repartiraient avec toutes leurs dents. Une autre prédatrice de la nuit s'était occupé d'eux avec un style et une efficacité impressionnante.

Entendant tout d'abord des coups étouffés puis toute agitation furtive, Magpie se risqua à glisser un œil hors de sa cachette. De son œil expert, elle savoura les mouvements de sa complice partiellement éclairés par l'une des lampes de poche tombée au sol. Sa dernière pirouette lui arracha même un sourire. Soigner son style était de plus importants. S'extirpant de la pénombre créée par les maigres sources de lumières de la tour, la Pie fit une petite moue boudeuse en réponse au choix que la féline lui offrait.

Je n'ai même pas eu le temps de m'amuser. Dit-elle en jetant un œil sur les corps inconscients des membre du GCPD. J'aurais presque pitié d'eux. Que deviendront-ils lorsqu’ils seront confrontés à de vrais tueurs psychopathes, comme le Joker. Dixit la voleuse la plus obsessionnelle de toute Gotham City qui pouvait donc avoir des éclairs de lucidité. Éclairs brefs, car la volatile s'empressa de délester les agents de leurs plaques brillantes. Les pupilles dilatés, un sourire dément sur les lèvres, elle prononça ces deux mots qui faisaient désormais partie de sa marque de fabrique: " Shiny, shiny... "

Se redressant tout en accrochant les plaques à sa tenue, elle se décida enfin à répondre à la fameuse Catwoman. " Tu veux qu'on attendent qu'ils se réveillent pour jouer les souris ? Et puis équilibrer les choses... Nous on se balade pas avec ce genre de gadget." Affirma-t-elle en désignant l'une des armes de poings des agents. Mais alors que son regard s'attardant sur le pistolet, l'instinct de la voleuse l'avertit que quelque-chose clochait. Deux policiers, une seule arme ? Brusquement  silencieuse, ses yeux scrutèrent rapidement le sol à la recherche de l'arme manquante. Une des lampes de poche se braqua alors avec l'ombre d'un canon. La policière semblait avoir recouvert ses esprits plus vite que ses collègues. Légèrement décalée et donc à peine visible, Magpie réalisa que le faisceau de lumière était braquée sur sa complice et ses lunettes de vision nocturne. Réagissant instinctivement, elle se jeta en direction de la lampe de poche. Un coup de feu résonna dans la galerie marchande...

" Je... "

" Shhhhhhtttt...  "

Une lampe de poche oscillait sur le sol, dévoilant un jeu d'ombre des plus inquiétant. D'une oscillation vers la gauche, elle éclairait le visage terrifié d'une jeune femme en uniforme allongée sur le sol, le menton prisonnier d'une main griffue alors qu'une autre griffe glissait lentement sur sa joue... d'une oscillation vers la droite elle éclairait une jeune femme semblable à une Pie - au regard noir et au sourire carnassier - assise sur la première, lui immobilisant les bras avec ses genoux.

" Ce n'est pas très gentil de tirer sur les gens comme ça... " Chuchota la prédatrice à sa proie immobilisée par ses serres. " J'ai paniquée, j'ai..eurk..." Prononça la policière avant que la prise sur son menton ne s'intensifie." Shhhhhhtttt j'ai dis... plus un mot... tu aurais pu blesser quelqu'un... c'est comme ça qu'on travaille dans la police maintenant ? Cela mérite une punition... "

Avant que l'agente du GCPD ne puisse réagir, Magpie planta une de ses griffes dans le corps de cette dernière alors que sa prise sur son menton bifurqua sur sa bouche pour l’empêcher de crier. Sa proie se débattit quelques instants, souffla comme une diablesse, en vain. Le dérivé de curare savamment dosé fit son office, la plongeant dans un sommeil profond. Se relevant, la Pie revint à la hauteur de sa partenaire.

" Fichons le camp rapidement, il n'est plus question de trainer ici. "

Rejoignant l'entrée de la tour dans un silence brisée par le tintement des diverses parures portées par la Pie, le duo retrouva les lumières de la nuit. Aucune traces du lagomorphe. La lapine avait dû aller gambader ailleurs. Toutefois, les véhicules promis étaient là. Même le butin de le voleuse avait été placée sur les sièges arrières de l'un d'eux. Étant donné le maigre butin rapiné à l'intérieur de la tour, nul doute qu'un seul moyen de transport suffirait. Prenant les devants, Magpie se précipita, impatiente de retrouver ses précieux brillants. Mais soudain, elle s'immobilisa prise de vertiges. Portant une main sur son torse, elle la retira pour voir son manchon recouvert de sang.

" Oh non Cat, j'ai tâché ton joli cadeau. " Dit-elle gênée alors que son corps semblait défaillir malgré elle.

Cela n'était qu'une question de secondes avant que la Pie ne s'écroule. La balle tirée par la policière l'avait traversée de part en part et le sang quittait son corps en abondance. Un organe avait peut-être été atteint, mais l'insensibilité de la voleuse jouait cette fois-ci contre elle.

" Tu crois que je pourrais le nettoyer ? " Lâcha-t-elle naïvement.

Mes bras étant trop occupés à soutenir la pie, j'ouvris la porte d'un lourd coup de pied (tant pis pour la peinture, qui s'écaillait déjà de toute façon). Par chance, personne ne se tenait derrière, et le battant ne heurta aucun soignant qui passait par là. Une odeur déplaisante, froide, me cueillit aux narines, pendant qu'un éclairage peu charitable m'éblouissait. Les murs, peints grossièrement en verdâtre, cadraient plutôt bien à une clinique de fortune. Le mobilier en mauvais état, le silence dû au peu de fréquentations et l'absence notable de caméras collait également bien à cette ambiance crasseuse d'hôpital pour nécessiteux. Déboulant à grandes enjambées, Leslie me lança depuis le couloir un regard qui partait pour être courroucé, annonciateur d'un de ces sermons qu'elle réservait d'ordinaire à Bruce. Heureusement pour moi, son cerveau de docteure avait été conditionné à réagir à certains stimuli. La vue d'une blessée pâle, ayant clairement perdu une quantité inquiétante de sang, chassa tout envie de m'engueuler de sa tête. Il n'y eu pas un mot entre nous, à peine un échange visuel, tandis qu'elle fonçait ausculter sa patiente. La médecin analysa d'une œillade experte l'état de Magpie, sans dégoût ni sidération, en m'indiquant du doigt où je devais installer ma complice, dans ce dédales de couloirs étriqués. Le temps que je fasse délicatement descendre l'oiseau sur une civière, Thompkins avait déjà sommé à des infirmières invisibles qu'on lui apporte une poche de sang et du matériel de suture. Mon corps s'arqua sans trop de mal pour permettre le passage d'une aide-soignante que je voyais souvent, dans cette clinique. Cette dernière inséra une aiguille dans l'avant-bras de la blessée avant d'installer le surplus d'hémoglobine au-dessus de la voleuse. Notant mon inaction, Leslie me mit immédiatement à contribution, me transformant de deux mots en préposée à la désinfection de la lésion. Elle à la couture, moi à l'arrosage, épaule contre épaule, nous n'échangeons pas une phrase. L'heure était grave, comme me l'indiquait le pli soucieux sur le front de la soignante. Quelque-part, une autre personne s'affaira à installer une poche translucide pour réhydrater la pie, et lui fournir des nutriments. Mon cerveau attendit que la sexagénaire me signale qu'elle n'avait plus besoin de moi pour enrager.

Je lui en voulais, à cette fichue emplumée ! Au point de ne pas vouloir rester dans ses parages, au point de vouloir la jeter très loin parce que sa seule vue me mettait dans un état volcanique. Sauf que les dernières minutes avaient été trop tendues et stressantes pour que je puisse le lui faire savoir. On avait roulé à tomber ouvert au milieu de Gotham avec le GCPD aux trousses, j'avais pris des risques complètement inconsidérés pour pouvoir les semer et conduire Magpie à cette clinique... Notre superbe décapotable, fracturée par White, risquait de nous être reprise dans les cinq minutes, vue que je l'avais laissée ouverte dans une ruelle infréquentable avec les clefs sur le contact, et fallait-il préciser que dans l'urgence, notre butin (qui avait servi d'oreiller à la passagère) avait été sacrifié ? Avant d'être autorisée à rejeter la fautive de ce désastre, j'avais dû veiller à ce qu'elle ne meure pas dans mes bras, ou à cause d'un carambolage que j'aurais causé. Maintenant que ses jours n'étaient plus en danger, je pouvais recommencer à lui souhaiter le pire (sans réellement espérer que ça se concrétise). Passer à un cheveu d'y rester, tout ça parce qu'elle avait voulu jouer les protectrices ! Quelle imbécile, d'avoir intercepté le tir qui m'était destiné ! Quelle espèce de... Tâche.

Nul ne me l'avait fait remarquer, mais j'avais du sang sur ma combinaison, ce qui accrut mon envie (déjà furieuse) de baffer celle qui s'était prise pour mon gilet pare-balle. Impossible de trouver l'envie de lui dire des mots rassurants, pendant que Leslie s'efforçait de la maintenir en vie (et de toute manière, les aurait-elle entendu, ces mots ?). Maintenant qu'elle était entre de bonnes mains, je me sentais assez rassurée pour m'éloigner de Magpie. Thompkins ne me voulait pas dans ses pattes, et j'avais ma combinaison à nettoyer, de toute manière. Paradoxalement, la jeune blessée ne sortit pas de mon champ de vision, à mesure que je m'éloignais de sa civière. Mon regard évita la zone de la plaie (pas parce qu'elle me dégoûtait ; je l'avais eu sous le nez assez longtemps), car je ne pouvais m'empêcher de dévisager cette pie. Je voulais la regarder si fermement que, même inconsciente, elle sentirait le poids de mes yeux sur elle. Madame avait osé s'inquiéter de salir ses nouveaux manchons avant de se préoccuper de sa subsistance ! Pouvait-on imaginer pire attitude, pour une criminelle ? C'était si... Naïf. Crédule. Elle avait eu l'air si peu inquiète, si tranquille, au moment de constater qu'une auréole carmin fleurissait sur son abdomen, elle qui avait actuellement un teint menaçant de surpasser en pâleur la couleur de ses cheveux. Pourquoi, alors, refusais-je de m'éloigner d'elle ?

La directrice de cette clinique improvisée m'adressa un furtif signe du crâne, quelque-chose qui devait vouloir signifier « c'est bon, tu peux aller te toiletter », avant de repartir ausculter d'autres patients. J'aurais presque embrassé Leslie pour son mutisme, pour ne pas m'avoir rappelée qu'elles étaient trop rares, celles de mes fréquentations qui auraient intercepté la balle. Ce tacle m'aurait achevée. Pour autant, j'emportais avec moi cette pensée vers la petite salle de bain où je fis de mon mieux pour effacer la tâche de ma tenue de travail (le noir, c'était supposé être peu salissant). La sprinteuse envolée, typiquement, aurait trouvé autre chose qu'un sacrifice personnel, dans une situation similaire. Me revinrent d'ailleurs à l'esprit les mots joliment gribouillés par White avec son foutu rouge à lèvres, assorti à la couleur si atypique de ses yeux.


Elle nous avait posé un lapin, cette garce ! Un comble qui ne me faisait pas rire ; on aurait bien eu besoin de sa vitesse, pour transporter notre oiseau jusqu'à un centre de soins. Sauf que non, White n'avait pas pu attendre, et je la suspectais d'avoir volontairement titillé Bruce. La preuve : elle avait eu le temps de nous préparer deux véhicules (déverrouillés à coups de battes), avec les clefs posées sur le tableau de bord, et avait pris soin de nous rédiger une note (coincée sur un pare-brise) avant d'être apparemment prise en chasse par le chevalier noir (lequel prévenait rarement ses proies qu'il leur tombait dessus). Circonstance aggravante : je m'étais engouffrée dans la plus proche des deux voitures - après avoir installé Magpie sur la banquette arrière, trouvant le papier avant les clés (donc au pire moment pour apprendre qu'on m'avait fait faux-bond). Le message avait été roulé en boule et balancé rageusement au loin (insultes copieuses à l'appui), et je réalisais seulement maintenant que si White n'avait pas eu la prévenance de nous préparer des moyens de fuir, transporter ma blessée m'aurait coûté quelques minutes de plus (peut-être ces minutes cruciales, qui différenciaient les vivantes des défuntes). Malgré son sale coup, la lapine nous avait rendu un grand service, ce qui m'interdisait théoriquement de lui en vouloir. Heureusement que ma philosophie féline stipulait que les règles ne s'appliquaient pas à ma personne ; White risquait de ne pas me revoir de sitôt, ou alors juste pour lui rendre la pareille, et la lâcher au pire moment !

Dans le miroir, mon reflet me renvoya un regard dur, souligné par mon masque. J'avais eu raison du sang qui menaçait de s'incruster dans ma combinaison avec une facilité née de l'habitude (même si la batcave disposait de produits plus efficaces que ceux de cette clinique, pour triompher de la salissure), sans que ça me satisfasse. Le temps passé à frotter, à l'écart de tous, n'avait pas permis au volcan en moi de se mettre en sommeil ; je bouillonnais toujours d'une furieuse envie de cogner quiconque me fournirait une justification suffisante. En sortant de la salle de bain, tous mes muscles étaient prêts à l'action, et ça devait se sentir ; chaque fois que je croisais un infirmier ou une aide-soignante dans le corridor me ramenant vers la pie voleuse, celui-ci ou celle-là captait la rage m'auréolant à la manière d'un spectre brûlant et accélérait le pas. Ne pas rencontrer la moindre résistance, ne pas trouver d'opposition à mon parcours, attisa doucement ma frustration tout en la laissant s'éteindre d'elle-même. C'est finalement de revoir Magpie, alitée, sous perfusion et avec un bandage sur le corps, qui métamorphosa le feu de ma hargne en froid implacable. Mon envie de violence ne s'était pas envolée, elle avait simplement décider d'attendre le moment opportun pour resurgir.

Doucement, je me mis sur un tabouret à côté de la blessée, prête à la surveiller jusqu'à l'aube s'il le fallait. L'idée de m'éloigner d'elle à nouveau ne me traversa pas l'esprit, pas même pour nettoyer ses manchons et lui faire la surprise de redécouvrir son cadeau immaculé comme au premier jour. J'allais donc faire toutes ces choses complètement inutiles qu'on faisait, lorsque l'on n'était pas celle qui gisait entre la vie et la mort.

Réveille-toi donc, petite idiote, que je puisse t'engueuler en bonne et due forme. Lui murmurais-je, en l'embrassant doucement sur le front.

De quoi rêvait les Pies ? De leur vol, leurs rapines, leurs prises de bec ? Certains animaux rêvaient en effet des activités de leur journée pour mieux la mémoriser. Pour les Pies à forme humaine, la question se posait toujours. Pour Magpie, cela ressemblait parfois à une étendue infinie irradiant de brillants et précieux. Rassemblés en petites collines, la Pie pouvait s'y jeter, s'en recouvrant avec délice avant de s'y endormir et donc de se réveiller. Un rêve des plus doux et pour le moins très caractéristique.

Néanmoins, pour ce qui était de mémoriser sa nuit, la Pie avait tendance à tout oublier le matin venu quand son obsession disparaissait. Elle redevenait ainsi Margaret, simple secrétaire à la Gotham Gazette, naïve, candide et amnésique. De ses nombreuses blessures, elle ne conservait aucun souvenir et mettait cela sur un accident domestique nocturne. Les médecins avaient été clairs à ce sujet: un somnambulisme très actif. Malgré les recommandations des blouses blanches de verrouiller sa chambre, il semblait que cela n'était pas suffisant. Depuis, la jolie blonde gardait cela pour elle, par crainte de se voir tout simplement enfermée chez les fous. Quelques années derrière les barreaux avaient été plus que suffisante pour la jeune femme. De plus, rien n'indiquait qu'elle nuisait à autrui. Toutefois, la belle aurait sûrement du mal à s'expliquer les points de suture sur son torse cette fois-ci.

Qu'importe. Pour l'heure, c'était son autre personnalité, Magpie qui était aux commandes. Cette dernière était toujours inconsciente, allongée sur une civière. Ce n'était qu'une question de temps avant que le sang tout neuf et les nutriments ne lui permettent d'ouvrir les yeux. Veillée par la plus féline des voleuses, elle ne risquait rien. Après ce qui n'avait semblé être qu'un instant pour la Pie, elle ouvrit les yeux et frissonna brièvement. Se redressant d'un mouvement vif - insensible à la douleur normalement ressenti par un individu dans son état - son regard se porta sur la personne la plus proche d'elle, la Féline en l’occurrence.

" Cat ? " Dit-elle en fronçant les sourcils et penchant légèrement la tête. Elle remarqua rapidement que quelque-chose clochait chez sa partenaire de vol. Il ne s'agissait pas son air habituellement taquin et malicieux. " Tu as l'air bizarre. Quelqu'un t'a enquiquiné ? Tu veux que je m'en occupe ? " Ignorant encore et toujours son état, elle promena son regard sur les alentours et commença à se demander ce qu'elle pouvait bien faire là. " Mais... qu'est ce que ? " Lâcha-t-elle brusquement sur un ton froid et soupçonneux, presque hostile. En un instant, la Pie était désormais sur ses gardes. Des civières, des individus allongés dessus, des murs verts à la peinture écaillée, des individus en blouse blanche, de la crasse et une odeur ambiante des plus désagréables. Petit à petit, les éléments s'associèrent dans la tête de la Pie qui commença à réaliser. Par un réflexe brusque manquant d'arracher ses perfusions, elle s'attrapa les poignets comme pour vérifier que ces derniers n'étaient pas entravés par des menottes, sans pouvoir se l'expliquer. Non, elle était belle et bien libre. Son regard obliqua sur un de ses manchons recouvert de sang alimentant son cheminement mental. Abaissant son regard, elle remarqua alors le bandage enserrant son torse. Le fixant pendant plusieurs secondes, elle remarqua ensuite les perfusions sur ses bras.

Silencieuse, le regard fuyant, la moue triste, elle s'enlaça lentement avec ses bras comme pour se protéger. Méconnaissable, la Pie semblait au plus mal. Le cheminement dans sa tête avait abouti. Un bandage, un hôpital, sa partenaire de vol à ses côtés: la volatile était tombée de son perchoir. La colère vint alors rejoindre la tristesse sur son visage et d'un geste vif, la Pie s'arracha une poignée de plumes ornant son costume. Le poing se serrant de plus en plus, elle broya littéralement ces dernières alors que sa main libre se posa sur son torse.

" Je ne veux pas que tu me vois comme ça Cat... On m'a fait tomber de mon perchoir... Mon plumage n'est plus à la hauteur. " Dit-elle d’un ton froid en posant sa main sur son manchon taché.