" Il est vraiment magnifique "

Juchée sur l'un des nombreux toits de Gotham, profitant de l'air frais, la Pie admirait son précieux butin qui scintillait au clair de lune. Un splendide anneau, trouvé dans un appartement non loin de là. L'ancien propriétaire avait eu la maladresse de laisser une de ses fenêtres ouverte. Une aubaine pour le joli volatil qui n'avait eu aucune peine à s'y faufiler. Agile comme Scaramouche, silencieuse comme la savane de l'autre côté du fleuve, elle avait méthodiquement fouillé chaque recoin des différentes pièces. Laissant babioles, bijoux et richesses sans éclat, elle ronchonna quelques instants ne trouvant pas son bonheur. Mais enfin, elle tomba sur la perle rare. Une toute petite chose que la Pie avait saisi avec la plus grande délicatesse: un anneau doré. Ce butin en main, elle avait abandonné sa fouille. Se parant de l'objet de ses désirs, elle avait fui avec la même agilité pour se jucher sur l'un des nombreux perchoir en pointe de la ténébreuse ville.

Après de trop longues minutes de contemplation, la Pie se remit en vol. La nuit était loin d'être terminée. Une bijouterie ou un prêteur sur gage l'attendait quelque-part pour lui offrir ses plus beaux brillants. S'élançant dans la nuit, volant de toit en toit, elle s'arrêta brusquement. Son œil averti venait de repérer une silhouette dans les ténèbres à quelques rues de là. Cette silhouette, la Pie la connaissait bien. A ses yeux, elle était la Reine de la Nuit. Remarquant la direction prise par l'agile féline, Magpie se ravisa et prit une autre direction. La stratégie était élémentaire. En cas d'intervention de la police, cette dernière aurait deux cas opposés à gérer. Se rabattant sur un prêteur sur gage tout proche, elle rejoignit le plancher des moutons. Pénétrant dans la boutique encore ouverte, elle fit face à l'homme occupé au comptoir avec son habituel sourire malsain.

" Hola, petite commerçant. Tout ce qui est ici est à moi " Déclara-t-elle.

Ce dernier releva la tête et posa ses yeux sur l'irrésistible jeune femme devant lui. Son sourire, son visage. Elle ne pouvait qu'être honnête, que dire la vérité.

" A vous mademoiselle ? Oh, je ne savais pas. De nombreux clients sont venus me vendre toutes ces choses. Je ne savais pas qu'ils vous les avaient volé. " Dit-il tout penaud, contrastant avec son air patibulaire.

La petite Pie le regarda avec de grands yeux, médusée. Sur le point d'attaquer le commerçant et de lui injecter sa fameuse toxine, voilà qu'elle se retrouvait avec un individu serviable et aimable. C'était la toute première fois que l'on s'adressait ainsi à elle. Jusque-là, toutes ses rencontres nocturnes n'avaient été ponctuées que d'insultes, de mépris et de brutalité. Ne sachant comment réagir, elle se contenta de détourner le regard pour s'intéresser à une vieille croute accrochée au mur.  

" Je suppose que mademoiselle souhaite les récupérer... " Poursuivit le commerçant en se grattant l'arrière du crâne. " Heu... oui... mais je ne voudrais pas vous obliger. Ce qui brille suffira... " Répondit la Pie en s'abandonnant au mimétisme.

Laissant le prêteur sur gage rassembler ses "possessions", elle fit les cent pas, penaude. La situation était grotesque, échappait à toute logique. Elle était une voleuse. D’habitude les commerçant tremblaient de peur ou au moins essayait de l'abattre lorsqu'elle avait le dos tourné. Que se passait-il ? Tous ses futurs braquages allaient-ils se dérouler de la même façon ? Non. Elle ne pouvait l'accepter.

Relevant la tête, elle discerna un miroir et observa son reflet quelques instants. Non, ce n'était pas elle. Il s'agissait de quelqu'un d'autre. Un imposteur. Un leurre. La vraie Magpie volait, griffait, blessait. Elle ne se laissait pas servir comme une de ses perruches des quartiers chics. Qui osait ainsi la discréditer ?

Le regard de la jeune femme devint aussi noir que l'ébène. Son visage, déformée par la colère, ses membres tremblant sous la tension, elle se tourna vers le commerçant allant à sa rencontre avec son butin.

Tout le quartier fut réveillé par les fracas ininterrompus provenant de la boutique de cet escroc de prêteur sur gage. Les vitrines ayant volé en éclat, le trottoir fut rapidement jonché d'objets en tout genre. Finalement, l'alarme incendie sonna la fin du déchainement de haine. Les sprinklers se mirent en action et un volatil mouillé apparut sur le pas de la porte. Son fard à paupière noir coulant sur ses joues, sa coiffure plaquée sur son visage, les lèvres tremblantes, le regard vexé, la voleuse emprunta lentement le trottoir, tirant derrière elle un imposant sac.

Entendant une sirène au loin, la Pie fit monter le sac sur son dos et s'élança dans une ruelle. Repérant une gouttière, elle la remonta pour échouer sur le toit. Lançant son sac sur un toit voisin pour le récupérer à chaque fois, elle s'éloigna petit à petit du lieu de son méfait.

Arrêtant finalement ses acrobaties, la jeune femme se laissa tomber contre un bloc de climatisation, son précieux butin à ses côtés. Toujours aussi dépitée, elle se mit à ruminer son insupportable expérience. Jamais la Pie ne s'était sentit aussi mal.

Le ciel semblait s'être abattu sur la tête de la Pie. Sa coiffure collait, son maquillage coulait, même ses plumes faisaient grise mine. La voleuse n'était plus que l'ombre d'elle-même. Se faire servir courtoisement...  Une véritable honte pour la profession. Une mésaventure qu'elle chasserait de sa mémoire. Nul ne devrait être au courant. Jamais. Sous peine de succomber à ses griffes. Elle était l'étoile montante du vol et du cambriolage à Gotham. La seule, l'unique: Magpie.

La voleuse leva la tête brusquement, un bruit ayant trahi la silhouette masculine qui l'observait depuis quelques minutes. Relevant ses griffes, elle dévisagea l'intrus avec un regard noir. Ce dernier était probablement anglais comme son accent semblait l'indiquer. Cheveux châtain plutôt long pour un homme, le regard marron fatigué, les mains larges. Le voyeur ne payait pas de mine.  Il se déclarait comme étranger aux forces de l'ordre avec des gestes d'apaisement. Néanmoins si son allure ne ressemblait pas à celle d'un justicier, elle correspondait parfaitement à celle d'un inspecteur expérimenté. Il n'en avait pas après son butin selon ses mots, même si ses œillades répétées aux alentours n'invitaient à la confiance.  

Observant l'anneau qu'elle portait à son doigt lorsqu'il fut désigné par l'Anglais, la Pie s'interrogea, essayant de suivre son monologue. En effet, à bien y réfléchir, ses déboires avaient commencé après le vol de ce bijou un peu plus tôt dans la soirée. L'attitude du prêteur sur gage, la mine terrifiée des passants lors de sa fuite. Un objet dangereux ? Était-il maudit ? L'homme ne donnait aucune précision mais n'avait pas l'air de mentir. Hésitante, la Pie se leva. Ôtant lentement l'anneau de son annulaire, elle l'observa quelques instants, donnant sans doute quelques espoirs à l'Anglais. Mais d'un geste vif, elle l'envoya dans son sac à butin où ce dernier se mêla à ses autres brillants. Qui était cet individu ? Que lui voulait-il ? Lui voler l'anneau ? Son précieux ? Hors de question. On ne volait pas une voleuse. Le toisant de son regard noir, la Pie répliqua enfin.

" De quoi je me mêle ? " Déclara-t-elle sur un ton glacial. " J'en ai rien à faire de tes histoires à dormir debout. Même s'il est responsable de ma soirée de merde, cet anneau est à moi, comme tout le reste. "

Non, la voleuse ne céderait pas un seul de ses précieux brillants au voyeur. Depuis quand un individu lambda se permettait de la détrousser ? Un vieux schnock d'Anglais qui plus est. Un gringalet comparé aux mastodontes auxquels elle avait déjà dû faire face en cambriolant des pontes de la mafia de Gotham. Deux coups de griffe et on en parlait plus.

" Maintenant fout le camp, avant qu'il ne me prenne l'envie de t'ajouter une cicatrice. "

Pour illustrer ses propos, la Pie fit jouer ses doigts avec dextérité. Ses muscles fins se contractèrent, ne laissant planer aucun doute quant à leur vigueur. Elle n'était pas qu'une simple voleuse, elle était Magpie. Quiconque prenait le risque de se frotter à elle le regrettait amèrement.

Les menaces envoyées semblaient avoir rebondies sur le roc à la fois serein et ferme de l'Anglais. Ses griffes acérées ne représentaient donc pas un danger à ses yeux ? Habituellement, leur simple vue suffisait à au moins déstabiliser l'opposant. En avait-il vu d'autres ? Cette simple pensée fit froncer les sourcils à la Pie. La personne qui lui faisait face était-il fou, sûr de lui ? Ou bien en avait-il les moyens ? Dissimulait-il quelques armes et parades sous son manteau ?

Le bougre répondit lui même à la question. Ainsi il ne recherchait pas l'affrontement. Au contraire, il était davantage dans la mise en garde, toujours à propos de ce splendide anneau. Autant d'insistance pour un minuscule objet de rapine. Des gens voulaient le lui dérober ? Dangereux et prêt à tout ? Malheureusement, jamais au grand jamais celle qui répondait au nom de Magpie n'avait restitué le fruit de ses vols.

L'Anglais marqua un point: il avait réussi à la retrouver. Pour un inspecteur aux oreilles attentives, entendre sa description et la direction de sa fuite n'avait rien de difficile. Néanmoins, pour découvrir sur quel toit elle avait élu domicile... Se décrispant, la Pie se redressa. La suite du discours, contrairement à ce que devait penser le bougre, fit toutefois mouche. Piquée au vif, Magpie serra le poing, le regard noir.

" Indifférente... Vous me prenez pour qui ? Une criminelle sans cœur ? Une assassin ? " Dit-elle avec un ton glacial.
" Je n'ai jamais tué quiconque. Mais si ce propriétaire a déjà tué, pourquoi vous ne le mettez pas hors d'état de nuire ? Vous espérer lui rendre sa babiole et en rester là ? "

Cela tombait sous le sens pour la Pie. Pourquoi l'ancêtre s'attardait-il à vouloir récupérer cet anneau au lieu de courir après le meurtrier ? Voulait-elle de son aide pour cela ? Aider une sorte de justicier ? Absurde. Elle n'aidait personne et n'avait besoin de personne.

" Si j'ai survécu jusque là, c'est parce que je suis forte. Si votre propriétaire me reserve le même sort qu'à cette vétérinaire. Qu'il vienne. Je l'accueillerais à coups de griffes. "

Pour répondre à sa dernière intervention, un glapissement retenti dans la nuit. Plissant les yeux, la voleuse observa ce volatile qui grossissait à vue d'oeil. Ce dernier se mua en un étalon cauchemaresque qui atterit sur un toit proche. Médusée face à la silhouette equestre, la Pie resta figée sur place. Ses yeux lui jouaient des tours. Ce n'était qu'une illusion, pas la réalité. Ce qui se déroulait était toute simplement impossible.

" Qu'est-ce que... Qu'est que c'est que ce truc ? " Lâcha-t-elle d'une voix fébrile, malgré l'injonction de l'Anglais de prendre la fuite.

Ce dernier semblait faire barrage à la créature. Tombant sur les fesses, reculant en s'aidant de ses bras, le regard paniqué, la Pie se jeta sur son sac et commença à le vider. L'oeil aiguisé de la voleuse lui permit de mettre la main sur le fameux anneau. Les membres tremblants, elle se redressa alors que la créature la fixait, prête à lui bondir dessus. Devait-elle fuir comme suggérée par l'Anglais. Fuir pour sa vie ? Faisant un pas en arrière, elle se ravisa et serra l'anneau dans son poing. Etait-ce ce propriétaire qui venait réclamer son bien ? Etait-ce l'assassin ? Temblante à cause de la crainte inspirée par la créature, elle fit toutefois un pas dans sa direction, puis un autre pour finir par se porter à la hauteur de l'ancêtre.

" Assassin...." Lâcha-t-elle le visage déformée par la colère et la peur qui se confondaient en elle. " Assassin ! "

Tournant la tête vers l'Anglais, elle plongea son regard dans le sien. D'un geste furtif mais viscéralement insoutenable, elle lui glissa l'anneau dans la main.

" Si vous êtes incapable de mettre hors d'état de nuire ce monstre, alors fichez le camp. Je m'en occuperais. "

Pour illustrer son propos, elle fit jaillir ses griffes. Ce monstre assassin voulait la tuer ? Qu'il vienne. Elle aurait autant de pitié à son égard que lui pour sa victime. De cet affrontement entre une voleuse et un monstre, il n'en resterait plus qu'un.